Âme Perdue
Judy Gagnon-Timmons
9 mars 2012
Je m'appelle John Patterson et je suis major pour l'armée américaine depuis 1945. Moi et mes soldats sommes sur les terres afghanes depuis déjà quelques mois, ou quelques semaines, je ne me rappelle plus. Ma mémoire a par malheur beaucoup défailli depuis que la dernière bombe a sauté. Une atroce lumière blanche m'a pourchassé jusqu'à ce que je me réveille, gisant sur le sol parmi les débris et les corps démembrés. Depuis, mes seuls souvenirs sont : cette explosion, mon nom et mon rôle. En fait, pour être honnête, je ne m'en souvenais pas, mais une carte d'identité* se trouvait dans ma poche. Autour de moi tout est sombre, détruit, mort et, surtout, vide. Je commence à peine à retrouver mes esprits, le bruit des canons et des mitraillettes au loin ne m'aidant guère. Je ne vois personne de vivant autour de moi, ce n'est pas normal. Mes compatriotes me croyaient-ils mort? Peu m'importe, je dois retrouver mon équipe de combat...
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En me levant, je me suis senti plutôt bizarre, comme si je ne m'étais pas nourri depuis des jours. C'est peut-être le cas, je n'en sais rien. Tout dans ce décor me semble inconnu, mais cela n'est probablement qu'un mauvais tour que me joue ma mémoire. C'est donc d'un pas ferme et déterminé que je pars à la recherche de mes hommes.
Je marche déjà depuis plusieurs kilomètres et les coups de feu me semblent toujours aussi éloignés. Au bord de la route, d'étranges pancartes encore lisibles indiquent des messages tel que : « Volez notre pétrole, nous volerons votre terre!», « La fin est proche», « On vous aura prévenus ». J'ignore quelle est leur signification, mais une chose est sûre, elles ne font pas bon présage. Un peu plus loin, un édifice encore debout attire soudainement mon attention. S'il est aussi solide, c'est probablement parce que c'est un endroit important. Je pars donc explorer ce bâtiment mystérieux.
À l'intérieur se trouvent des centaines de barils de pétrole, majoritairement vides. Des nombres allant de 2050 à 2080 sont inscrits sur chacun d'eux. Haha, peut-être est-ce leur date de péremption? L'odeur de ces lieux me dégoûtant un peu, je reprends donc ma route vers les coups de canons qui me mèneront, je l'espère, à mes hommes.
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Plus les heures passent, plus j'ai l'impression de tourner en rond. Je perds peu à peu l'espoir de revoir une personne en vie. Tout autour de moi n'est que cadavres et débris. Même les mouches et les rats se font rares. Le jour ne semble pas vouloir se lever, me laissant dans une pénombre agaçante. Je ne ressens ni la douleur, ni la fatigue, mais l'ennui m'agrippe peu à peu.
Des questions me tourmentent de plus en plus : « Suis-je sur la bonne route? », « Pourquoi n'y a-t-il personne d'autre que moi ici? », « De quoi les pancartes afghanes voulaient-elles nous prévenir? », « Depuis combien de temps suis-je ici? ». J'ai perdu toute notion du temps, mais mon sens de l'orientation ne me trompe jamais. Je continue donc d'avancer, dans le tourment de mes inquiétudes, mais sans perdre espoir.
Un vieux journal virevoltant au vent m'attaque soudain en plein visage. 28 juin 2089. Une bombe nucléaire extermine l'Amérique. La dernière cible est touchée, aucun survivant, la victoire de l'Afghanistan est imminente. Aucun survivant, mais qu'est-ce que ça veut dire? Depuis quand sommes nous en 2089? Aurais-je dormi pendant 140 ans? Tout cela est impossible, et l'Amérique, exterminée, je n'en crois pas un mot! Comment trouver une explication à tout cela?
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Pris de panique, je ressens un besoin irrésistible de courir jusqu'au bout de mes forces. Je ne crois pas avoir été aussi déterminé à faire quelque chose comme ça de toute ma vie. Je cours, sans arrêt, sans vraiment savoir où je vais. On dirait que mon souffle ne s'épuise pas, que mes muscles sont bloqués au maximum de leur puissance. Le temps, dont j'ai complètement perdu la notion, passe à la fois si lentement et si vite. Tout n'est que confusion dans mon esprit. Pourtant, l'idée de trouver cette chose qui m'attire au loin, qui m'oblige à me dépasser, m'obsède complètement. En observant comme il faut, j'ai cru voir une petite lumière briller au loin. Le jour se lève-t-il enfin?
Plus j'avance sur ce chemin infini, moins l'idée que cette lueur soit le soleil tient la route. Un nuage gris charbon couvre ma précieuse lumière qui n'est selon moi qu'une autre explosion. C'est toutefois bon signe pour moi, car s'il y a des bombes, il y a forcément des gens! Peut-être même qu'avec de la chance, ce sont mes soldats qui m'accueilleront à bras ouverts pour finir cette mission. Mission qui, d'après les indices sur ma route, semble avoir quelque peu changé.
L'air devient de plus en plus épais, mais mes poumons ne semblent pas le ressentir. C'est probablement par habitude, il y a déjà longtemps que je suis dans ce pays de poussière. Les coups de canons résonnent de plus en plus fort et mon espoir grandit au rythme de cette mélodie mortelle. Enfin, je trouverai les réponses à mes questions.
Je suis maintenant très près du but, trop près du but, si loin du but... Je suis en plein milieu du champ de tir, et pourtant il n'y a aucune balle, aucune bombe, aucun soldat et aucune réponse. Que des « pow pow » qui résonnent entre les dunes et mon esprit. Je m'effondre soudain par terre, à vide de tout ce qui, tout à l'heure, me tenait encore debout. Perdu; ce sentiment résume assez bien ma situation. Tout à coup, cette même lumière, la lumière m'attaque, que se passe-il, mes oreilles bourdonnent, je n'entends plus rien! Plus rien...
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Je suis John Patterson, et selon cette carte d'identité*, je suis major dans l'armée américaine depuis 1945. J'ignore où je me trouve, ni comment j'y suis arrivé. Je ne comprends pas trop ce qui se passe. Tout me semble flou, il y a eu cette lumière blanche, cette terrible explosion, je ne me rappelle de rien d'autre. Je suis effondré sur le sol, autour de moi tout est sombre, mort, vide. Ma tête tourne et me paraît si légère qu'elle veut s'envoler. Je me lève doucement, reprenant peu à peu mes esprits. Des coups de feu se font entendre au loin, à l'autre bout de cette route démolie par la guerre. Je ne sais point où aller, mais cette route me semble être une bonne option. C'est ainsi que je pars à la recherche de quelqu'un, quelque chose (en fait je l'ignore) avec comme seules armes : courage et espoir...
Pendant ce temps...
– Mamie, Mamie! Où elle est la tombe de grand-papa?
– Viens, suis moi ma chérie. C'est au fond complètement, à gauche!
– Je suis sûre qu'il va aimer ses fleurs, en plus je les ai choisi moi-même!
– C'est certain, elles sont magnifiques... N'est-ce pas John? N'est-ce pas qu'elles sont superbes ces fleurs! Juste pour toi, avec tout notre amour... Oh mon amour, mon chéri, tu me manques tant... je...
– Pourquoi tu pleures mamie?
– Pour rien princesse, pour rien. Ton grand-papa est bien là ou il est. Il repose en paix.
– Est-ce qu'il est avec Jésus au paradis mamie? À l'école ils nous ont dit que les gens gentils vont vivre au ciel avec Jésus quand ils meurent...
– Oui ma chouette, bien sûr! Je suis certaine que grand-papa John est au paradis et qu'il veille sur nous...
* Pièce d'identité retrouvée dans les poches de John
Judy Gagnon-Timmons
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