Texte
gagnant de 2001
Catégorie : Nouvelle
Théme : La
forêt abitibienne
Déménagement
par
Joseph Elfassi
Oh!
Que je suis beau! Mais pas une beauté de tous les jours. Une nouvelle sorte
de beauté. Insurpassable. Inimaginable. Jamais personne n'aurait rêvé
avoir une telle splendeur. Je suis vraiment chanceux. Mon visage est en parfaite
harmonie. Mes cheveux noirs, raides, lisses et tendres rendent les plus belles
filles jalouses. J'ai des yeux bleu ciel, et parfois en me regardant dans le miroir,
je m'y perds. Ils sont si beaux. On dirait vraiment le ciel. Mon nez, contrairement
à tout ce qui m'appartient, n'a rien de particulier. Ni beau, ni laid,
heureusement. J'ai des lèvres naturellement rouges et extrêmement
volumineuses. Je vous plains, vous ne m'avez jamais vu. Je suis une merveille.
Mais ne croyez pas que mon apparence soit ma seule qualité. Je suis aimable,
doux et intelligent. Je suis généreux et pense beaucoup au bien-être
des autres. Et alors si je ne suis ni humble ni modeste? À qui fais-je
du mal en me glorifiant? N'ai-je pas le droit? La vérité est belle.
Seuls les gens vieux et moches disent qu'il n y a que l'intérieur qui compte.
Je ne dis pas que l'intérieur ne vaille rien, je dis juste que l'apparence
aussi est très importante dans la vie.
Et
voici que commence mon histoire. Vous ne me croirez sûrement pas. Telle
réaction ne me surprendrait point. J'ai moi-même eu du mal à
l'accepter. Mais... tristement, ce n'est pas un mensonge. Je ne suis plus le même
depuis cette... mésaventure.
Je
suis en train de marcher avec mon chien un peu à coté de la superbe
forêt Abitibienne (mon chien est, tout comme mon visage, une très
bonne façon de rencontrer des femmes. Mais je ne l'ai pas acheté
pour plaire aux femmes, je l'ai acheté pour mon propre plaisir.). Un beau
chien, marchant avec son maître ravissant à coté d'une belle
forêt. Je suis surpris que personne ne nous prenne en photo. Nous marchions
calmement, comme tous les dimanches depuis un an. Nous deux aimions ça.
De l'air frais. Une bonne marche. Du bien, quoi.
Mon
chien n'avait pas de laisse. Je l'avais bien dressé. Et tout le monde était
impressionné qu'à un âge si jeune, il marche sans laisse avec
son maître. Mais il faut avouer que je suis assez impressionnant. Nous pouvions
marcher librement l'un à côté de l'autre. C'est ce que je
croyais. Tout d'un coup, il s'échappe dans la forêt en courant plus
vite que je ne l'ai jamais vu depuis que je l'ai. Ne pouvant pas courir après
lui, je décide d'attendre un peu qu'il revienne. Rien. Mon instinct est
de pénétrer cette forêt pour retrouver mon meilleur ami. Après
seulement trente secondes, je suis perdu. Tous les arbres se ressemblent et puisqu'il
neige, mes traces de pied ont disparu. Je crie le nom de mon chien plusieurs fois.
Aucune réponse. Et s'il était déjà devant ma porte
en train de m'attendre? Peu probable. Je suis perdu dans les bois de la forêt
Abitibienne. Merci beaucoup, Rosco, tu es très gentil. Mais ceci n'est
pas si grave, quand je réalise que je vois un ours. Et voir un ours n'aurait
pas été trop dangereux. C'est le fait qu'il m'ait vu qui m'inquiète
le plus. Cette force de la nature me regarde droit dans les yeux d'un air de dire :
« tu connaîtras bien mes dents. » Il se lève
sur ses pattes arrière pour me montrer sa taille et m'intimider. Je ne
peux pas dire qu'il échoue. Il est énorme. Féroce. Et une
idée folle me vient.
Pendant
une seconde, une seconde seulement, je voulais me battre avec l'ours. Je voulais
le battre. J'avais eu une poussée d'adrénaline. Dans les films,
dans les bandes dessinées, dans les livres, des personnes se battaient
contre ces grosses bêtes sauvages et sortaient vainqueurs. Je veux être
un gagnant. Que je rendrais les filles folles! La beauté et la force d'un
dieu. Mais que demander de plus? Personne ne me regarderait de travers. Je serais
encore plus respecté que je ne le suis déjà. Mais cette idée
s'écroula rapidement. Me battre contre un ours? C'est insensé. L'ours
n'a pas l'air content de me voir. Un ours mécontent peut être très
dangereux. Je commence à courir...
Je
n'ai jamais couru aussi rapidement de ma vie. Jamais n‘avais-je un ours qui me
suivait non plus. Ma vie était en danger. Si je trébuchais, j'étais
mort. Si je ralentissais un peu, je serais de la nourriture d'ours. Je ne voulais
pas ça. Chaque fois que mes pieds touchaient le sol, je savais que je n'étais
pas encore vaincu. Je souriais en courant, car je savais que je pouvais mourir
si je commettais une seule petite erreur. Ceci m'amusait, je ne sais pas pourquoi.
Je n'allais pas me laisser tuer par un ours. J'avais la volonté de vivre.
Et qu'y a-t-il de plus attirant qu'un bel homme avec de la volonté? N'est-ce
pas tout ce dont les femmes rêvent? L'ours était toujours derrière
moi, je le sentais. Je l'entendais. J'étais sa proie, mais je n'allais
pas être sa prochaine victime. J'ai réalisé que la vitesse
n'allait pas me sauver, j'ai décidé de prendre une route un peu
plus dure...
Je
me faufilais entre les arbres. Je sautais, je grimpais, je rampais. J'étais
vraiment athlétique. Parfois, je m'impressionne moi-même. Un très
bel athlète avec de la volonté. Mais qu'y a-t-il de mieux? Je suis
vraiment un cadeau aux femmes. L'ours continue à me chasser, mais je m'éloigne
de plus en plus de lui. Ceci l'énerve. Je ne peux pas arrêter de
courir. Si je le vois, c'est qu'il peut m'attraper. S'il me rattrape, il me tue.
Je suis trop jeune pour mourir. Trop beau. Je décide d'accélérer
et de prendre des chemins encore plus difficiles. Cette fois-ci, j'ai réussi.
Je suis essoufflé. Je ne peux plus me tenir sur mes jambes. M'asseoir semble
être très raisonnable. Je dois vraiment être perdu maintenant.
Je regarde
au loin et vois mon chien en train de marcher. Il me voit et commence à
courir. Tristement, il ne court pas vers moi. Qu'a t il donc? Je suis épuisé.
Cela fait au moins une demi-heure que je cours, et je dois maintenant m'y remettre.
Me lever est une épreuve. Mes jambes ne peuvent plus me supporter. J'ai
mal partout. Je me suis plusieurs fois coupé au bras. Mes gants neufs sont
déchiquetés. Mon manteau est sale. Je ne suis vraiment pas dans
un bon état. Tout ça pour un chien qui s'échappe de moi.
Mais je sais qu'il n'est pas méchant. Il doit avoir une raison. Je suis
débout. Je me tiens à peine. Je commence à courir et crier
son nom. Rosco, pourquoi? Je te traite bien. Je me fatigue rapidement. Si j'avais
une boussole ou un téléphone cellulaire, je serais sauvé.
Je n'ai rien. Mais pourquoi aurais-je quelque chose? Je voulais juste faire une
petite marche, c'est tout. Je ne savais pas que tout ceci allait se passer. Comment
pouvais-je? Je suis encore perdu. Je suis trop beau pour me perdre. Les bois ne
finiront-ils jamais? Je n'ai pas envi de rester ici toute la nuit. La lune dans
l'obscurité me rendrait paranoïaque. Tous les bruits me rendraient
fous. Je ne pourrais rien supporter. Le froid me tuerait. Les insectes me mangeraient.
Il ne me reste qu'une seule chose à faire. Ce n'est pas très brave.
Ce n'est pas héroïque, mais pour l'instant, je ne veux pas être
un héros. Je veux être chez moi, avec mon chien.
Je
m'assois contre un arbre et commence à pleurer. Je suis perdu. Désespéré.
Je n'ai plus mon chien. Je souffre. J'ai de bonnes raisons pour pleurer. Mes larmes
coulent sur mes joues pendant ce qui semble une éternité, mais qui
n'est qu'une seule petite minute en réalité. Il commence à
faire froid. Et de nulle part, mon chien commence à me lécher. Il
est là. Devant moi. Pourquoi était-il parti? Je ne veux plus vraiment
savoir. Nous sommes ensembles maintenant et tout ira mieux. Je le tiens dans mes
bras. Je veux rentrer maintenant. J'ai peut-être retrouvé mon chien
- enfin, il m'a retrouvé - mais nous sommes toujours perdus.
J'essaie de me lever. Mes jambes ne veulent vraiment pas. Je suis fatigué.
Après deux minutes d'effort et d'enfer, je suis debout. J y ai mis énormément
d'effort, et j'ai réussi à me lever. C'est un exemple de ma volonté.
Je suis
debout et mon chien me regarde, avec sa queue en train de se balancer de tous
les cotés. Je réalise que j'ai perdu un gant. Je me tourne pour
le ramasser. En me levant, je vois... Un lion. Un lion. Un lion? UN LION???! DANS
LA FORÊT ABITIBIENNE??? Je déteste Dieu. Le roi de la jungle a déménagé.
Il a décidé qu'il faisait trop chaud en Afrique. Si c'était
l'ours, si je n'étais pas épuisé, j'aurais couru. J'étais
figé. L'animal le plus féroce était à une telle proximité de
moi, que je pouvais sentir l'air quand il respirait. Et puis de nul part...
SLASH!!!
Avec
ses griffes, il me défigura. Je suis laid. Dieu a un méchant sens
de l'humour. j'ai acheté une laisse à mon chien. Le lion est parti
après m'avoir défiguré. Je suis laid. Au moins, j'ai toujours
un beau chien. Mais soyez sur qu'on ne marchera jamais plus proche de la forêt.
La beauté intérieur compte énormément. Je suis laid.
Joseph
Elfassi 15 ans, 2001
Secondaire 5, Polyvalente D'Iberville
Rouyn-Noranda,
Québec
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